Thomas HOREAU : LE JAZZ ET LA SCÈNE.*
Thomas Horeau est comédien, dramaturge, musicien, enseignant et membre du comité éditorial d’Epistrophy. Il est aussi l’auteur d’une thèse soutenue en 2015 à l’université Paris VIII, intitulée "Le jazz et la scène, l’expression jazzistique à l’aune de la théâtralité", qui a donné matière à cet ouvrage publié aux presses universitaires de Vincennes en décembre 2019 dans la collection Théâtres du monde.
Dans une première partie, Thomas Horeau examine l’histoire du jazz sous l’angle de sa perspective théâtrale. Est ainsi mise en avant l’importance de la tradition africaine qui associe étroitement, chant, musique instrumentale, poésie et danse dans un même acte. Remarquons que dans la tradition occidentale ces disciplines sont dispersées dans le classement des Beaux-Arts et ne se retrouvent sur une même scène que dans l’opéra.
Cette conception symbiotique constitue le socle sur lequel s’appuiera, de ses débuts au XXIème siècle, toute l’histoire du jazz. Des formes d’expression comme les minstrel shows, où se retrouve la gestuelle des Noirs, le gospel, où s’exprime le côté spectaculaire de la foi générée par les sermons enflammés du preacher et le blues, constituent à la fois des bases et des parts toujours fondamentales du jazz qui deviendra un spectacle avec le vaudeville.
Flirtant avec l’esthétique du music-hall tout en délivrant une musique d’une qualité superlative, les orchestres de Duke Ellington et de Cab Calloway accompagneront les revues prestigieuses du Cotton Club et deviendront, en élevant le jazz au rang d’art, les bannières prestigieuses du mouvement Harlem Renaissance.
Il est à remarquer que, dès les années vingt, des orchestres européens comme ceux de Gregor, Fred Addison et Ray Ventura, suivront une voie similaire en incluant dans leur spectacle des morceaux-sketches et des chansons humoristiques, lançant ainsi la mode du bien nommé "jazz de scène.
Pendant les années quarante, le style Bop réduira cette fonction de divertissement à la portion congrue en limitant la performance musicale à sa forme concert. Ceci exception faite de Dizzy Gillespie qui proposait à la tête de son big band un spectacle complet laissant une large part à la danse dans la tradition des revues de la décennie précédente.
Dans les années cinquante, l’expression Black is Beautiful devient le slogan d’une société noire qui n’attend plus rien de l’American way of life. Ses préoccupations seront exprimées par le mouvement free qui, à l’exemple de l’Arkestra de Sun Ra et de l’Art Ensemble of Chicago, mêle dans une sorte de grand spectacle, la performance jazzistique, la danse, la poésie et le théâtre.
De nos jours, cette dynamique a perdu de sa force pour laisser la place à la forme concert.
Dans une seconde partie d’essence plus théorique et spéculative, Thomas Horeau, en prenant bien soin de définir les limites de sa démarche, utilise les concepts de la dramaturgie pour examiner, l’une par rapport à l’autre, les spécificités propres au jazz et au théâtre. Ainsi, pour l’auteur, le corps d’un musicien de jazz en action est animé d’une sorte de danse intérieure qui participe à la construction de son discours musical. La gestuelle ainsi générée focalise l’attention du spectateur en prenant une dimension théâtrale.
Comme le dit Jean Jamin, "le son se donne à voir et à entendre". Dans ce processus, le musicien joue son propre personnage à la différence d’un acteur qui interprète un rôle. Ainsi, rapporté par Yannick Séité, le stupéfiant naturel avec lequel Duke Ellington s’est identifié aux différents personnages de Turcaret, la pièce d’Alain-René Lesage, dont il devait écrire la musique de scène à la demande deJean Vilar pour une représentation au TNP durant l’hiver 1960 : « Frontin, c’est moi », « Le Chevalier, c’est moi » (**).
Rédigé d’une écriture précise, l’ouvrage de Thomas Horeau propose une argumentation solide appuyée sur une riche bibliographie. En s’interrogeant sur la nature profonde de la fraternité du jazz et du théâtre, ou dit autrement, en traitant de la problématique soulevée par Yannick Séité : « Jazz et théâtre : frères siamois ou frères ennemis ? (**) », l’auteur montre comment le jazz, tout au long de son histoire et par une démarche symbiotique, a puisé dans les autres arts, leur donnant aussi beaucoup en retour. Un livre passionnant.
Alain Tomas.
(*) Thomas Horeau, ‘Le Jazz et la Scène’. Décembre 2019. Presses universitaires de Vincennes, Saint-Denis, (collection Théâtres du Monde).
ISBN : 978-2-37924-065-2
(**)Yannick Séité, ’Jazz et théatre, frères siamois ou frères ennemis ?’. Africultures, Paris, L’Harmattan, n°77-78, 2009, (p.12).
©photo couverture Frank Russo/NY Daily News Archive